Sabine Pigalle présente dans son « Complexe de Diane » _ironiquement nommé_ une hybridation de peintures sensuelles des « petites créatures déshabillées » de François Boucher, amalgamant des tableaux représentant Diane, Venus, ou la courtisane O’Murphy, connue pour avoir été la maîtresse de Louis XV. Ces dernières se retrouvent débarrassées de leurs attributs pittoresques (anges chérubins, putti, colombes), et ressemblent plutôt à des femmes peu farouches qu’à des déesses.
La relecture contemporaine se résume ainsi à un étalage de chair licencieux dans une mise en scène saphique, et cristallise ce qui pourrait caractériser l’esprit libertin du XVIIIe : un siècle dédié à l’art du plaisir, célébrant la joie de vivre, la jouissance de l’immédiateté, le ton mignard, léger, charmant, mais aussi un siècle décadent, canaille, superficiel et frivole.
Dans cette réinterprétation moderne, le ton demeure pastoral, mais les nymphes masquées et anonymes ont perdu leur innocence feinte et forment un sabbat … Remplies de malice, un brin toxiques, elles ignorent la pudeur et laissent voir leur nudité, rompues à l’exercice de la carrière galante.
L’univers poétique et onirique perdure malgré tout, mais le rêve semble s’être mué en cauchemar : Le jour frais et délicatement coloré a fait place à l’inquiétante étrangeté blafarde et monochrome de la nuit. La lune, classiquement associée à Diane, apparaît ici énorme, et, telle une épée de Damoclès, menace de déferler sur l’insouciante assemblée en balayant tout sur son passage …, le ton s’est globalement brouillé et obscurci : Préfiguration du cataclysme de la révolution, laissant imaginer les affres d’une terrible époque à venir.
Finalement, à travers une mise en perspective historique, Sabine Pigalle ne traite pas plus de la réalité aujourd’hui que François Boucher hier, mais du symbole : les signes de la décadence d’une société restent au cœur du débat de nos jours.
En outre, le sens du ton coquin propre à Boucher ne se trouve ni corrompu ni perverti, et dans un hymne au corps féminin, la contemplation de « l’élégante vulgarité » (cf. Goncourt) mise en scène par le peintre des grâces reste de mise.